Préface

Les sourires de Jean-Noël pour adoucir le confinement

Cet album débute le 27 mars, quelques jours après le début du confinement décrété le 15 Mars 2020 en raison de la pandémie.
Dès le retour de son voyage en Egypte, le temps de récupérer du décalage horaire, l'idée est venue à Jean-Noël … une belle idée :
Alors qu'à 20 heures, dans la rue retentissent les applaudissements pour remercier le personnel soignant, il cherche dans ses archives et ses souvenirs une ou plusieurs photos d'êtres souriants, rencontrés au cours de ses pérégrinations en pays lointains ou à Paris, et il nous transmet par mail de doux instants de bonheur partagé entre photographe et photographiés.
Soir après soir, le texte qui accompagne les photos se termine par un « Bonne soirée et à demain », garant de la vie qui continue et des sourires à venir, en cette période de pandémie et de risque de contamination dont nul n'est à l'abri. Ce rendez-vous pour le sourire du lendemain semble un défi à l'ombre de la mort diffusée les médias et la réalité environnante du danger du Covid. Même si dans la rue certains habitants ont été piégés par ce fameux virus, cette certitude du lendemain rassure, et donne confiance en leur guérison – qui sera effective quelques temps après- et semble une protection pour ceux que le virus n'a pas remarqué.
Pour quelques instants ainsi, les destinataires de ses mails, oublient la menace …

Au moment où le port du masque est obligatoire dans tous les lieux publics, voici des sourires venant d'autres contrées et d'un autre temps. Car il y a et il y aura un temps d'avant - Covid- et un temps d'après qui ne sera plus jamais le même...

A quoi tient le charme des photos de Jean-Noël et l'apaisement passager qu'elles procurent ?
Même fugace, le lien établi entre photographe et photographié témoigne d'un instant de confiance et apparaît immédiatement, émouvant car représentatif du désir que chacun recherche dans la relation à l'autre : sécurité, douceur, sincérité rassurante et réciproque. C'est pourquoi les sourires « donnés » au photographe sont si beaux. L'instant a permis à celui qui pose de se sentir reconnu pour ce qu'il est, de se savoir choisi et apprécié par un autre être qui ne le connaît pas mais qui pose sur lui un regard chaleureux et le respecte dans sa singularité. C'est cet instant de grâce intérieure donne au visage ce rayonnement.

« J'aime le sourire sur le visage des enfants, des femmes. Il n'y a pas d'expression plus belle. Il n'y a rien de plus vrai sur le visage humain, rien de plus doux, de plus harmonieux dans la personne humaine. Le sourire vient du plus profond de l'être, du monde du sommeil peut-être, et monte, traverse le corps lentement à la manière d'un frisson de plaisir, jusqu'à l'orée de la bouche. »
Jean-Marie Gustave Le Clézio , L'inconnu sur la terre

Pour celui qui regarde, la photo apporte cette poésie silencieuse, la douceur, la joie et la lumière intérieure - oserais-je la qualifier de divine en dehors de toute allusion religieuse - dont tout être humain rêve. Le texte qui accompagne la photo est une invitation au voyage : un jour à Tokyo, un autre en Inde ou à Paris… une révision de nos souvenirs de classe de géographie si besoin est, ou de nos propres voyages.

Certes, Jean-Noël ne choisit pas n'importe quel sujet, les « jeunes filles en fleur » attirent particulièrement son regard et sont la principale source de ses sourires. Quand enfin, apparaît un sourire d'homme, celui-ci répond également aux critères de la beauté physique généralement admis, mais l'éclat qui se dégage dépasse largement l'esthétique du visage et transmets d'autres émotions plus profondes, personnelles et relationnelles entre deux hommes en présence, une image du respect et de l'amitié. On pourrait presque entendre ces mots d'amitié et d'amour silencieusement et furtivement échangés. Une voix, celle de Brassens chantant le poème d'Antoine Pol surgit en fond sonore et nous laisse entrevoir ce qui se passe – peut-être à son insu - dans le cœur du photographe :

« Je veux dédier ce poème
à toutes les femmes qu'on aime,
pendant quelques instants secrets,
à celle qu'on voit apparaître
une seconde à sa fenêtre
et qu'on ne reverra jamais » .

Chaque femme photographiée est aimée et aime sans doute celui qui derrière l'objectif, la regarde et apprécie sa beauté, ou se surprend à s'aimer elle-même.
Pour ce qui est des enfants présents et des hommes dans cette sélection de photo, il en est de même : confiance joyeuse ou tranquille, un sentiment de sécurité affective.

Mais après cette première émotion ressentie en regardant l'image, plane souvent une interrogation…
Cette jolie femme, cette petite fille, ce beau marin : que sont-ils devenus à l'heure où je regarde leur photo ?
Sont-ils vivants, morts, heureux, quel est leur destin depuis le jour où ils ont été photographiés ? Et ces sourires, instants de vie déjà engloutis par le temps, sont-ils encore sur les lèvres de ces personnes ? Avec qui les partagent-elles à l'heure où la question surgit si loin d'elle ? Ont-elles gardé le souvenir de l'instant vécu avec le photographe ? Savent-elles que cet instant de leur vie, de leur passé, arrive devant les yeux d'inconnus ?

Jamais nous n'aurons de réponse des personnes photographiées, nous pouvons seulement tenter de les imaginer, se souviennent-elles même de l'instant ? De même que les morts ne répondent jamais aux interrogations que les vivants leur posent. La photographie reste muette.

Dans La Chambre Claire, Barthes s'interroge sur le rapport entre la photographie et la mort. Car dit-il « Ce que la photographie reproduit à l'infini n'a eu lieu qu'une fois : elle répète mécaniquement ce qui ne pourra jamais plus se répéter existentiellement. » « La photographie saisit le moment, immobilise son référent, témoigne qu'il « a été » vivant et par conséquent elle suggère (mais elle ne dit pas forcément) qu'il est déjà mort. » …

Contrairement à la photographie, la peinture n'induit pas cette question. C'est un peu comme si le peintre rendait le personnage intemporel. La réalité si évidente dans une photo est modifiée par l'acte de création : l'art du peintre. C'est pourquoi le sourire d'un tableau, le regard même intense du sujet représenté ne nous dérange pas, même celui, fameux, de la Joconde. Il n'évoque pas la mort car derrière le modèle peint, un autre personnage habite la toile : l'artiste dont on connaît en général la vie, ou qui, même inconnu, nous détourne de l'interrogation sur le devenir du personnage représenté que produit la photographie. La peinture laisse place à l'imaginaire, invite à une interprétation, à la rêverie et à la poésie, la photo transmet un instant de réalité.
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« J'imagine que le geste essentiel du photographe est de surprendre quelque chose ou quelqu'un, et que ce geste est donc parfait lorsqu'il s'accomplit à l'insu du sujet photographié. »
Loin du comportement du photographe supposé par Roland Barthes , Jean-Noël Pillet prend les photos avec l'accord du sujet, il ne vole pas les sourires et sait éviter toute théâtralité dans la pose et garder le naturel.
Le temps d'une photo, son « sujet » se sachant choisi, élu, reconnu et accepté pour ce qu'il est, échange un sourire confiant avec le photographe et extériorise sa reconnaissance et sa joie. Accepté pour sa singularité, sa beauté, sa grâce, son âme, et le bonheur de vivre cet instant particulier ? Sourit-il au photographe ou à au miroir que représente l'objectif, miroir de lui-même ? Peut-être sourit-il simplement à la vie et au bonheur de vivre ? …

Dans les rues du confinement presque désertes, les regards des passants émergeant du masque, généralement bleu, transforment l'être au visage sans sourire en une fleur sans tige et sans feuilles, isolée de sa plante-mère ; coupée de ses racines. Par quels autres critères les reconnaît-on ? Capte-t-on instinctivement pour le reconnaitre l'image du corps, la démarche... ? Au moment donc de la morosité ambiance, les sourires de Jean-Noël reconstituent les visages dans leur entier et les instants de bonheur. Mais qu'en est-il du bonheur ? J'aime la définition qu'en donne Jacques Prévert : « J'ai reconnu le bonheur au bruit qu'il a fait en claquant la porte » Autour de la terre, le bonheur semble avoir claqué la porte quand est arrivé le Covid, mais il reviendra…

Merci à Jean-Noël de sa belle initiative. De ses voyages, il rapporte une oeuvre qui témoigne de son art du voyage et des rencontres chaleureuses.

" Celui qui voyage sans rencontrer l'autre ne voyage pas, il se déplace" Alexandra David-Neel

A travers les photos et textes qui les accompagnent, il transmet le bonheur de vivre et à la manière de jacques Prévert nous invite à penser :

« Il y a des gens qui s'entretuent : c'est pas gai. Il y a aussi des gens qui s'entrevivent. J'irai les rejoindre. »

Mireille Gaucherand

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